Frozen river

Publié le par marine

Qualifier ce film de thriller comme le fait Quentin Tarentino serait le réduire à la seule tension narrative qui s’installe et s’amplifie jusqu’au dénouement du récit avec une redoutable efficacité. Ce serait occulter la noirceur d’un propos social que les effets de la mondialisation accentuent plus encore dans cette aventure dramatique mettant en scène deux actrices criantes de vérité qui incarnent leur rôle avec une extrême justesse. Bienvenue dans la cruauté du monde des écorchés de la vie, des laissés pour compte qui survivent en exploitant une misère plus noire que celle dans laquelle ils se débattent.

 

Le scénario, sans surprise sur le plan narratif, se révèle séduisant dans sa mise en œuvre. Alors que Ray (Melissa Leo) pouvait enfin offrir à sa famille la maison de ses rêves et quitter leur préfabriqué mal isolé qui se dégradait dangereusement, le mari, joueur compulsif, disparaît avec leurs économies une semaine avant Noël. Seule avec ses deux fils, sans autre ressource qu’un salaire minimum, elle rencontre Lila (Misty Upham), jeune mère célibataire d'origine Mohawk . Pour renflouer ses finances, elle finit par accepter de faire équipe avec Lila qui fait illégalement entrer des immigrants aux États-Unis en traversant une rivière gelée à la frontière du Québec et de l'État de New York. Entre la femme blanche à la gâchette facile et l’indienne peu expansive que rapprochent des problèmes économiques et familiaux similaires, des liens se tissent qu’une amitié viendra souder.

 

Pour la réalisatrice américaine Courtney Hunt, tout est parti d’une situation bien réelle : "L’idée de Frozen River est née quand j’ai entendu parler du trafic d’immigrés à la frontière canadienne, en rendant visite à ma belle-famille à Malone, dans l’état de New-York. Il y a plusieurs réserves d’Indiens de part et d’autre de la frontière, ce qui donne lieu à une situation juridique hors normes. Quand j’ai appris que certaines femmes indiennes participaient à ce trafic en traversant en voiture la rivière Saint Laurent gelée, j’ai été subjuguée. A l’époque, j’ai rencontré deux femmes qui faisaient du trafic de cigarettes. Mais lorsque le Canada a baissé la taxe sur le tabac, certains trafiquants se sont reconvertis dans le trafic d’immigrés clandestins : c’était souvent des Chinois et des Pakistanais qui souhaitaient entrer aux Etats-Unis en passant par le Canada, ce qui est plus facile."

 

Et la question se pose de savoir ce qu’en pareille situation (celle de Ray ou de Lila) nous prendrions comme décision : rester conforme à une éthique ou se dire que si ce n’est pas nous qui faisons la sale besogne ce sera une autre et pourquoi laisser à d’autre ce qui peut nous aider à vivre juste un peu mieux.

 

Ce film sombre pourrait faire songer à « Into the wild » pour la beauté sauvage et dangereuse de la nature de cette contrée mais c’est plutôt aux films des frères Dardenne « Le silence de Lorna » et de Ken Loach « It’s a free world » qu’il s’apparente pour la mise en scène de femmes se retrouvant liées au trafic humain engendré par les flux migratoires. Des femmes au profil social identique qui se lancent dans ce commerce peu reluisant pour survivre. Une situation qui en dit long sur certains effets de la mondialisation et sur une paupérisation croissante. 

D’un désespoir à l’autre : à voir, absolument

Publié dans arc en ciel

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article